Cartes sur table

Le Plume : département des cartes et plans

26 novembre 2006

Quatre cantons

En l'an 1291, trois cantons des alpes suisses, Uri, Schwytz et Unterwald, font alliance pour contrôler la route du col du Saint-Gothard, aménagée depuis peu. Leurs voisins Luzern, Glaris, Zürich et Zug les rejoignent entre 1322 et 1352, formant le cœur de l'actuelle Suisse.

Au milieu de cet ensemble, un lac : le lac des Quatre Cantons - en Allemand Vierwaldstättersee, le lac des quatre cantons forestiers.


Le lac des quatre cantons d'après la carte routière de l'Automobile Club de Suisse, Kümmerley-Frey, 2005.
Taille de l'extrait : 17 cm, soit 46,75 km.
Centre de l'image : 46°56,1' N, 8°33,4' E.

Les quatres cantons en question, ce sont Lucerne au Nord-Ouest, Schwyz au Nord-Est, Uri au Sud-Ouest et Unterwald au Sud-Est. Enfin, techniquement, il s'agit du demi-canton de Nidwalden, Unterwalden étant divisé en deux demi-cantons autonomes, Nidwalden et Obwalden. Sur la date de cette division, les opinions diffèrent ; il est possible qu'Unterwald n'ait jamais formé une entité politique réelle.

Pays de montagne (3338 m à l'Oberalpstock, en bas à droite de l'extrait), où chaque vallée se sent maîtresse de son destin : les hasards de l'histoire ont fait parvenir jusqu'à nous ce souvenir d'un monde cloisonné. Sans en faire un modèle, on ne s'en plaindra pas.

19 novembre 2006

Une ville représentation

Beaucoup de ville contiennent des éléments de représentation du pouvoir qui y siège ; rare sont celles qui ont conçue comme telle. Washington, D.C., est un cas d'espèce : construite à partir de rien, son plan même est une allégorie du pouvoir fédéral.


Washington, D.C. Easy Finder, Rand McNally, 2003.
Taille de l'extrait : 12 cm soit 3,6 km.
Centre de l'image : 38°53,5' N, 77°01,3' W.

Au centre du système, le Capitole, siège du congrès, dont la coupole est visble d'à peu près toute la ville. Le gros trait noir à travers le Capitole, faut pas faire attention, c'est juste un pli de la carte. Juste derrière (donc à droite), la Court Suprême et la Bibliothèque du Congrès. De l'autre côté, la vaste esplanade du National Mall court plein Ouest jusqu'au Potomac - là se trouve maintenant le Lincoln memorial, lieu des manifestations monstres des années 1960-70.

Se raccorde en équerre sur le Mall une esplanade plus restreinte, l'Ellipse, sur laquelle donne la Maison blanche. Les deux principaux pouvoirs constitutionnels ne sont donc pas face à face mais ont des orientations perpendiculaires, symbolisant la séparation des pouvoirs.

L'hypothénuse de ce triangle rectangle est une artère carossable, Pennsylvania avenue, qui permettait aux deux centres de pouvoir de se voir mutuellement, rappel de leur interdépendance  n'oublions pas que la Constitution a été rédigée et signée à Philadelphie, en Pennsylvanie. Cette vue est maintenant coupée par le bâtiment construit après coup à l'Est de la Maison blanche et où siège l'administration des fianances - que les problèmes budgétaires soient venus brouiller la liaison entre l'Exécutif et le Législatif est somme toute parfaitement approprié...

Depuis, Washington est devenu une vraie ville, avec tous les problèmes afférents. Mais ce cœur est resté, représentation perpétuelle de l'État fédéral à l'usage de ses citoyens.

P.S. : les amateurs de photos n'ont qu'à duivre les liens qui les conduiront aux entrées correspondantes du blog « des photos et des jours » - avec mes photos, justement.

12 novembre 2006

Courbes de niveau en folie

Ce qui caractérise la topographie contemporaine, c'est l'usage de courbes de niveaux sur les cartes, plutôt que celle de l'ombrage des formes du relief - autrement dit, privilégier la restitution numérique précise de la troisième dimension par rapport à un rendu capable d'évoquer visuellement les paysages cartographiés. Mais il y a des cas où les courbes de niveau assurent elles-même l'ombrage...


Carte de l'Afrique du Sud au 1:50:000 : feuille 3321BC, Matjesvlei.
Taille de l'extrait : 16 cm, soit 8 km.
Centre de l'image : 33°20,1' S, 21°37,6' E.

Évidemment, là, comme ça, ce n'est pas complètement évident de comprendre ce qui se passe. Tentative d'explication...

On se trouve au cœur des montagnes du Swartberg, le plissement qui sépare les plateaux du Grand Karoo (au nord) et du Petit Karoo (au sud). Ce plissement court d'est en ouest, c'est à dire, ici, à l'horizontale. La chaîne principale est ici séparée en deux par une longue vallée parallèle au plissement, Gamkaskloof - qui doit bien être techniquement une combe anticlinale, mais ça n'a pas d'importance. Le chemin qui court en bas de l'extrait est l'unique route menant au bout de Gamkaskloof - le débouché sur la grand-route se trouve à 40 km vers l'est.

Par contre, la rivière Gamka prend un sérieux raccourci : elle a la drôle d'idée de tracerser la montagne perpendiculairement à sa ligne de crête. Du coup, ça donne cette percée spectaculaire (1000 m de dénivelé entre la crête et la rivière tout de même), une cluse pour les manuels de géographie physique. Et pour le touriste, un chié truc de fou !

05 novembre 2006

Un petit tour dans l'Hindu Kush

Tel est le titre français du livre le plus connu, sans doute à juste titre, de l'écrivain voyageur Eric Newby, décédé le mois dernier. L'amie qui m'apprenait cette disparition me suggérait naturellement un hommage cartographique mais je ne disposais d'aucune carte appropriée. Un petit tour, non pas dans l'Hindu Kush, mais à la boutique IGN de la rue de la Boétie, m'a permis de remédier tant bien que mal à cette situation - tant bien que mal parce qu'il faut bien le dire : les bonnes cartes de cette région du monde n'abondent pas, si tant est qu'il y en ait.


Map of Afghanistan and Surrounding Territory, Oxford Cartographers/Gizi Map, 2001.
Taille de l'extrait : 13,8 cm soit 414 km.
Centre de l'image : 36°38' N, 71°22' E.

A Short Walk in the Hindu Kush, c'est l'histoire d'un voyage, qui ne se passe d'ailleurs pas très bien, vers une des régions les moins connues d'un pays qui l'est toujours aussi mal, bien que faisant de temps à autres la une de l'actualité : Le Nouristan, dans le Nord-Ouest de l'Afghanistan. C'est en gros le secteur Sud-Ouest de l'extrait ci-dessus, pour l'intelligence duquel il convient de mentionner que les couleurs mauves, roses et blanches dénotent respectivement des altitudes supérieures à 4000, 5000 et 6000 m. Sur la droite de l'extrait, l'Hindu Kush rejoint les chaînes du Pamir et du Karakorum pour former le pignon occidental du complexe himalayen. Ajoutons pour corser les choses que six pays sont présents sur ledit extrait : l'Afghanistan, donc (le petit carré dans le coin inférieur gauche situe la ville de Kaboul), le Tadjikistan, anciennement soviétique, au dessus, le Pakistan, en bas à droite, le Cachemire indien juste à côté, et même un petit bout du Sinkiang chinois.

Eric Newby avait navigué avant-guerre pour un tour du monde à bord d'un des derniers voiliers en service commercial, puis fait la guerre en Italie dans les troupes d'élite du Special Boat Service britannique (ce qu'il n'évoque d'ailleurs que dans un ouvrage publié en 1994). L'ouvrage commence en 1955 lorsqu'un diplomate qu'il connait vaguement lui propose de partir explorer le Nouristan. Un tel voyage soulevant d'innombrables problèmes diplomatiques, on décide de prendre le prétexte d'une ascension : un sommet des environs, le Mir Samir (5.786 m, rien que ça) n'a jamais été escaladé avec succès - en pleine vogue des prouesses himalayennes, voilà l'alibi idéal. À ceci près bien sûr que ni l'un, ni l'autre ne sont des montagnards aguerris. Le livre raconte leurs déboires ; c'est un sommet du genre, à lire et à relire.

Les voyageurs ne racontent jamais que ce qu'ils veulent : on ne peut s'empêcher de penser qu'une telle expédition, en pleine guerre froide et quelques années seulement après la fin de l'empire anglais des Indes, ait d'autres motivations que la simple curiosité - surtout lorsque l'on connaît les antécédents militaires de Newby. Mais qu'importe : en se présentant comme un voyage gratuit, n'ayant d'autre but que « d'aller voir », le récit propose un rapport au monde en plein renouvellement. On n'est plus explorateur : il n'y a plus de blanc sur la carte ; l'expédition de Newby croise d'ailleurs sur les sentiers de montagne la litière d'un des derniers grands explorateurs anglais, Wilfred Thesiger, gravement malade, en train d'être rapatrié. On n'est plus colonisateur, non plus, en train de faire le tour du propriétaire - voilà bientôt dix ans que Lord Mountbatten, dernier vice-roi des Indes, a regagné l'Angleterre.

Avec Eric Newby, comme avec Nicolas Bouvier qui parcourt des routes semblables deux ans plus tôt, c'est un monde nouveau, un monde en mutation, qui apprend à se regarder. On en est toujours là.