Cartes sur table

Le Plume : département des cartes et plans

27 août 2008

Les ingrédients d'une carte, 2 : une échelle

Entre le découpage et l'échelle, c'est la poule et l'œuf : pour une taille de papier donnée, la taille du morceau de terre que je vais représenter, et donc le découpage, dépend de l'échelle - et inversement.

L'échelle : c'est une fraction, le rapport entre les distances telles qu'elles sont représentées sur la carte et les distances réelles. Comme sur les bonnes vieilles cartes Michelin au 1:200.000 qui précisaient en couverture, pour l'usager qui n'aurait pas la bosse des maths, 1cm pour 2km. Graphiquement, la représentation de cette proportion sur la carte elle-même prend généralement la forme d'une barre graduée ou, à défaut, d'un segment correspondant à une seule graduation. Sur ces graduations sont inscritse les distances réelles correspondant à la distance représentée, dans l'unité que l'on préfère. Est-ce cette représentation qui nous a donné le terme d'échelle ?


Carte aéronautique au 1:1.000.000 de l'Afrique australe, feuille ICAO 3177 (Livingstone), publiée par le CD:SM (Afrique du Sud) : delta de l'Okavango, Botswana.

Évidemment, si vous avez plusieurs unités préférées, il faudra ajouter plusieurs barres : on a ici, pour respecter les conventions aéronautiques, trois barres d'échelle : en kilomètres, en milles nautiques et en milles terrestres. Les graduations vont de dix en dix avec, à gauche du zéro, de petites graduations noires et blanches indiquant les unités. Ainsi, on pourra facilement reporter à ces barres une distance mesurée sur la carte, par exemple avec un compas à pointes sèches, et obtenir sa distance sans faire de calcul - pratique si on est en train de piloter un coucou au dessus de la savane du Botswana. Prière de ne pas jeter sa bouteille de coca par la fenêtre.

À noter que l'échelle (la fraction et sa représentation graphique) suppose que la proportion entre les distances réelles et représentées soit une constante sur toute la carte. Ce qui est nécessairement faux en raison de la sphéricité de la terre (ou, si l'on préfère, de la non sphéricité des cartes) - mais dans la plupart des cas, la différence est non significative. Il n'empêche, le navigateur soigneux reportera ses distances non pas sur une barre d'échelle mais sur la graduation des latitudes le long d'un méridien, le plus près possible de la zone qui l'intéresse : une minute de degré le long d'un méridien vaut un mille nautique ; le sceptique pourra comparer, sur l'exemple, les graduations de la barre du milieu avec les graduations de latitude sur le bord de la carte.

Une autre question, que j'avais soulevée à propos de découpage : celui de l'unicité de l'échelle au sein d'une série de cartes. C'est l'usage chez les éditeurs de cartes que de publier, pour un territoire donné, une série de cartes couvrant la totalité de ce territoire à une certaine échelle. C'est le cas chez nous des séries bleues, oranges, vertes de l'IGN ou de la série jaune Michelin ; c'est le cas aussi des cartes sud-africaines que j'utilise beaucoup ici. Mais ce n'est généralement pas le cas des atlas, qui représentent d'une page à l'autre des pays très différents entre eux ; c'est rarement le cas des séries de plans de villes, pour la même raison. Pour les cartes marines, tous les cas de figures existent. Bref : ça dépend.

P.S., 21 septembre : je trouve à l'instant dans la notice des cartes du BRGM cette jolie explication délicieusement surannée, que je ne résiste pas à l'envie de vous faire partager :

La carte est une image réduite du territoire vu du ciel. L'échelle d'une carte est un nombre (fractionnaire) par lequel on multiplie la distance réele sur le terrain pour obtenir la mesure de cette distance représentée sur la carte. Ainsi, à l'échelle 1/50 000, deux clochers de villages éloignés en ligne droite de 5 km, soit 5 000 m, seront représentés sur la carte avec un écart de 5 000 × 1/50 000 = 0,1 m ou 10cm.

Épisodes précédents :

  1. Un découpage
  2. Une échelle

10 août 2008

Les ingrédients d'une carte, 1 : un découpage

Je commence ici une petite série sur les fondamentaux de la cartographie : n'ayant aucune compétence particulière pour en parler, il est bien naturel que je m'y emploie. N'est-ce pas la logique même des blogs et autres wiki ?

Premier problème de la cartographie : la feuille de papier a des dimensions finies alors que l'objet représenté (notre bonne vieille terre) est, lui, infini. Bon, techniquement, pas complètement infini, je suis d'accord, mais (1) la taille de la feuille est négligeable au regard de la taille de la terre - et, sauf pour des échelles extrêmes, la taille de la zone couverte est relativement négligeable aussi ; (2) je me suis laissé dire que la terre était à peu près sphérique, ce qui veut dire que, dans quelque direction que l'on parte, on pourra continuer droit devant indéfiniment. Non sans difficultés, j'en conviens.

Bref : la cartographie papier nécessite que l'on définisse à l'avance les limites de la zone que l'on va représenter sur une feuille donnée. Faire des cartes, c'est découper.1 Là, deux possibilités :

  • Si l'objectif est d'assister l'utilisateur dans ses déplacements, on va essayer de découper un morceau qui correspond à une zone de déplacement. C'est le cas des cartes marines, des plans de villes et, parfois, des cartes routières.
  • Si ce qu'on veut, c'est produire un portefeuille de cartes couvrant intégralement un territoire à une échelle donnée, le plus simple, c'est de fixer un carroyage : on découpe la zone en rectangle plus ou moins grands suivant l'échelle retenue, et voilà : un petit rectangle = une feuille.


Maps of Sout Africa, Index of the maps published by the Chief Directorate: Surveys and Land Information, Mowbray, Western Cape, janvier 1997 :
cartes topographiques au 1:50.000.

L'institut géographique national français utilise cette méthode pour sa couverture globale du territoire au 1:50.000 et 1:25.000 (série orange ou série bleue), en utilisant - en hommage sans doute aux inventeurs du système métrique - un découpage basé sur les longitudes et latitudes exprimées en grades et centigrades. Son équivalent sud-africain2 en fait de même, en utilisant un découpage en degrés.

Dans ce cas précis, l'unité de base du système fait un degré de côté dans les deux sens, ce qui dans les latitudes concernées en fait un rectangle un peu plus haut que large ; chaque case porte le nom des latitudes et longitudes du coin supérieur gauche. Par exemple, ici, la case comportant Caledon et Hermanus (34°S, 19°E) s'appelle tout naturellement 3419.

Ensuite, tout dépend de l'échelle de la carte. Pour les cartes aéronautiques au 1:1.000.000, chaque feuille fait six cases sur quatre ; pour les cartes au 1:500.000, c'est quatre cases par deux, la carte portant le numéro correspondant à son coin supérieur gauche ; deux cases par feuilles pour les cartes « topo-cadastrales » au 1:250.000. Pour les cartes topographiques au 1:50.000 (l'exemple ci-dessus), chaque case est couverte par seize cartes, sauf zones côtières ; on utilise donc un système de lettres, A, B, C et D désignant les quadrants nord-ouest, nord-est, sud-ouest et sud-est.

Ainsi, l'exemple de Rodonné l'autre jour vient de Robin Island la feuille couvrant le quadrant sud-est (D) du quadrant sud-ouest (C) de la case 3318 (à l'endroit du N final de Cape Town sur l'image ci-dessus) : c'est la carte 3318CD. Et celle du Gamkaskloof que je vous avais montré il y a quelques temps venait du quadrant sud-ouest du quadrant nord-est de la case 3321, donc : 3321BC. C'est tout simple. De toute façon, j'ai déjà super mal à la tête, donc autant me venger sur les autres.

Notez qu'un tel système est susceptible d'aménagements, par exemple quand une feuille serait composée au trois quarts de mer - il ne s'agit pas de cartes marines, après tout. Ainsi, autour de la ville du Cap, les cartes au 1:250.000 sont pivotées, plus longues dans le sens nord-sud que dans le sens est-ouest, alors que c'est généralement l'inverse : on peut ainsi se rapprocher d'avantage des contours côtiers. En plus, ça évite de découper en deux la ville du Cap, qui est traversée par le 34e parallèle. Notez que l'IGN n'a pas ces pudeurs : les cartes de la série orange couvre un rectangle de 0,2gr de latitude par 0,4gr de longitude, mer ou pas mer ; la 0714, que je connais bien (Perros-Guirec) est donc composée en grande majorité de bleu.

Autre adaptation possible de ce système : faire un découpage en rectangles de tailles identiques, mais avec recouvrement. C'était le cas autrefois des cartes routières Michelin au 1:200.000 et des cartes IGN au 1:100.000. Inconvénient du système : recouvrement ou pas, le trajet qu'on fait tombe toujours entre deux cartes et, en plus, on n'arrive jamais à retrouver comment ça se raccorde. C'est je suppose pour cela que Michelin a sorti ses cartes régionales, couvrant une aire beaucoup plus grandes, au prix de gymnastique parfois scabreuse quand on est dans une petite voiture pour trouver le bon pli. Et que l'IGN a sorti ses cartes départementales, qui ont un avantage énorme : les Français pensent le territoire en termes de département ; si on va en vacances dans le Tarn, c'est plus intuitif d'acheter la carte du Tarn que de se demander s'il faut prendre la carte Mende-Rodez, Montauban-Cahors ou Albi-Toulouse. Par contre, du coup, on renonce au principe de l'unicité de l'échelle au sein d'une série de cartes : difficile de mettre la même échelle pour la Gironde et pour le Territoire de Belfort.

Tout ça pour dire qu'une carte, ça commence par un découpage. Et pour l'amateur de carte, l'avantage, c'est que du coup il faut des cartes pour représenter le découpage des cartes !

1 La cartographie électronique ne change pas ce problème, elle permet seulement de le dissimuler.

2 Le Chief Directorate: Surveys and Mapping, dépendant du Department of Land Affairs du gouvernement sud-africain.

Épisodes précédents :

  1. Un découpage