Tel est le titre français du livre le plus connu, sans doute à juste titre, de l'écrivain voyageur Eric Newby, décédé le mois dernier. L'amie qui m'apprenait cette disparition me suggérait naturellement un hommage cartographique mais je ne disposais d'aucune carte appropriée. Un petit tour, non pas dans l'Hindu Kush, mais à la boutique IGN de la rue de la Boétie, m'a permis de remédier tant bien que mal à cette situation - tant bien que mal parce qu'il faut bien le dire : les bonnes cartes de cette région du monde n'abondent pas, si tant est qu'il y en ait.
Map of Afghanistan and Surrounding Territory, Oxford Cartographers/Gizi Map, 2001.
Taille de l'extrait : 13,8 cm soit 414 km.
Centre de l'image : 36°38' N, 71°22' E.
A Short Walk in the Hindu Kush, c'est l'histoire d'un voyage, qui ne se passe d'ailleurs pas très bien, vers une des régions les moins connues d'un pays qui l'est toujours aussi mal, bien que faisant de temps à autres la une de l'actualité : Le Nouristan, dans le Nord-Ouest de l'Afghanistan. C'est en gros le secteur Sud-Ouest de l'extrait ci-dessus, pour l'intelligence duquel il convient de mentionner que les couleurs mauves, roses et blanches dénotent respectivement des altitudes supérieures à 4000, 5000 et 6000 m. Sur la droite de l'extrait, l'Hindu Kush rejoint les chaînes du Pamir et du Karakorum pour former le pignon occidental du complexe himalayen. Ajoutons pour corser les choses que six pays sont présents sur ledit extrait : l'Afghanistan, donc (le petit carré dans le coin inférieur gauche situe la ville de Kaboul), le Tadjikistan, anciennement soviétique, au dessus, le Pakistan, en bas à droite, le Cachemire indien juste à côté, et même un petit bout du Sinkiang chinois.
Eric Newby avait navigué avant-guerre pour un tour du monde à bord d'un des derniers voiliers en service commercial, puis fait la guerre en Italie dans les troupes d'élite du Special Boat Service britannique (ce qu'il n'évoque d'ailleurs que dans un ouvrage publié en 1994). L'ouvrage commence en 1955 lorsqu'un diplomate qu'il connait vaguement lui propose de partir explorer le Nouristan. Un tel voyage soulevant d'innombrables problèmes diplomatiques, on décide de prendre le prétexte d'une ascension : un sommet des environs, le Mir Samir (5.786 m, rien que ça) n'a jamais été escaladé avec succès - en pleine vogue des prouesses himalayennes, voilà l'alibi idéal. À ceci près bien sûr que ni l'un, ni l'autre ne sont des montagnards aguerris. Le livre raconte leurs déboires ; c'est un sommet du genre, à lire et à relire.
Les voyageurs ne racontent jamais que ce qu'ils veulent : on ne peut s'empêcher de penser qu'une telle expédition, en pleine guerre froide et quelques années seulement après la fin de l'empire anglais des Indes, ait d'autres motivations que la simple curiosité - surtout lorsque l'on connaît les antécédents militaires de Newby. Mais qu'importe : en se présentant comme un voyage gratuit, n'ayant d'autre but que « d'aller voir », le récit propose un rapport au monde en plein renouvellement. On n'est plus explorateur : il n'y a plus de blanc sur la carte ; l'expédition de Newby croise d'ailleurs sur les sentiers de montagne la litière d'un des derniers grands explorateurs anglais, Wilfred Thesiger, gravement malade, en train d'être rapatrié. On n'est plus colonisateur, non plus, en train de faire le tour du propriétaire - voilà bientôt dix ans que Lord Mountbatten, dernier vice-roi des Indes, a regagné l'Angleterre.
Avec Eric Newby, comme avec Nicolas Bouvier qui parcourt des routes semblables deux ans plus tôt, c'est un monde nouveau, un monde en mutation, qui apprend à se regarder. On en est toujours là.